Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/72

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ces gens-là ont plus besoin d’être enchaînés que d’être instruits.

La véritable raison invite donc à la justice, à l’équité et à la fidélité tous les hommes d’un esprit sain. Et que ceux qui n’ont ni esprit ni ressources ne croient pas trouver leur intérêt dans l’injustice ; il ne peut y avoir pour eux de succès, ou au moins de succès durables. Quant à ceux qui ont du génie ou de la fortune, leur intérêt est de faire le bien : de là naît l’estime publique, et, ce qui contribue le plus au repos de la vie, l’amour de nos semblables. Quelle raison de tels hommes auraient-ils donc d’être injustes ?

Les désirs naturels sont faciles à contenter, sans faire tort à personne, et il ne faut pas se laisser aller aux autres, qui ne portent à rien de vraiment désirable ; car on ne saurait faire d’injustice qu’on n’y perde plus qu’on n’y gagne. La justice n’est donc pas à rechercher pour elle-même, mais seulement pour l’avantage qu’on en retire. Il est agréable d’être aimé et estimé de tout le monde, parce qu’alors la vie est plus sûre et plus douce. Ce n’est donc pas seulement pour éviter les inconvénients du dehors que nous croyons qu’il faut s’interdire l’injustice, mais principalement parce qu’elle ne laisse jamais respirer en paix ceux qui lui donnent entrée. Si les vertus mêmes, dont les autres philosophes ont l’habitude de faire sonner la louange si haut, ne peuvent avoir pour dernière fin que la volupté, et si la volupté est la seule qui nous appelle et qui nous attire naturellement à elle, il n’y a point de doute que la volupté ne soit le plus grand de tous les biens, et que par conséquent ce ne soit vivre heureux que de vivre dans la volupté.