Page:Claretie - Catissou, 1887-1888.djvu/12

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femme silure qui devient blanche comme une morte et qui saute sur une main qu’on lui tend comme un dogue sauterait sur un morceau de viande.

« Planté devant elle, il y avait un grand gars taillé en Hercule, avec des cheveux roux frisés qui sortait de dessous un grand chapeau de feutre ; il portait une blouse bleue empesée par-dessus une veste de paysan et, carré des épaules, un colosse, je voyais, — comme je le regardais de profil, — sa mâchoire inférieure qui avançait comme celle d’un brochet et ses tempes qui me cachaient presque ses yeux. Avec ça, pas de barbe, quelques poils dans une chair blême, fade. Mauvaise figure.

« Catissou l’avait regardé bien en face, ce gaillard-là, et, à présent, lui tenant la main, une main qui me parut énorme dans la petite main de la femme, elle semblait se cramponner à lui comme si toute sa vie, à elle, était suspendue au bras qui sortait de la manche bleue.

« Il me passa un frisson dans le dos et je me dis : « C’est l’individu ! Elle le tient ! »

« Oui, oui, elle le tenait, elle le tenait bien, allez, et pâle comme une morte elle disait au grand gars, subitement devenu aussi blême qu’elle :

« — Dites donc, vous, est-ce que vous connaissez l’assassin de Léonard Coussac !

« Il se recula, il essaya de dégager sa main des doigts de la femme silure. Ah ! elle n’avait pas besoin d’être électrisée, Catissou, pour faire courir une secousse sur la peau de l’homme ! Il tira son bras à lui sans pouvoir l’arracher à Catherine ; il voulut la repousser et tout en disant : « Ah ! çà, êtes-vous folle ?… Voulez-vous me lâcher ! » il tournait sa tête autour de lui, comme un loup ; et je vis ses yeux blancs qui avaient un air féroce, égaré, cherchant une issue… comme qui dirait la sortie.

« — Misérable gueux ! cria Catissou qui lui enfonçait ses doigts dans la chair, c’est toi, c’est toi qui as fait le coup ! C’est toi ! c’est toi !

« Et elle secouait comme un prunier le colosse tout étourdi de cette colère. Ah ! seulement, il se remit vite ! Il dégagea sa main des doigts de Catherine et, en l’air, je l’aperçus alors, cette main sinistre aux doigts égaux, cette main qui ressemblait à une araignée énorme et pattue. Il en donna un coup sur les épaules de Catherine qui s’affaissa, abattue, sur les deux genoux, et il se tourna comme un sanglier forcé, vers la sortie.