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LA MARÉE DE MIDI


Au temps qu’il ne peut plus naviguer, le marin fait son lit près de la mer : et quand elle crie, comme une nourrice qui entend le petit enfant se plaindre, dans le milieu de la nuit il se lèvera pour voir, n’endurant plus de dormir. Moi de même, et comme une ville par ses secrets égouts, mon esprit, par la vertu vivante de ce liquide dont je suis compénétré, communique au mouvement des eaux. Durant que je parle, ou que j’écris, ou repose, ou mange, je participe à la mer qui m’abandonne ou qui monte. Et souvent à midi, citoyen momentané de cette berge commerciale, je viens voir ce que nous apporte le flot, la libration de l’Océan, résolue dans ce méat fluvial en un large courant d’eau jaune. Et j’assiste à la montée vers moi de tout le peuple de la Mer, la procession des navires remorqués par la marée comme sur une chaîne de toue ; les jonques ventrues tendant au vent de guingois, quatre voiles raides comme des