Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/162

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pelles, celles de Foutchéou qui portent ficelé à chaque flanc un énorme fagot de poutres, puis, parmi l’éparpillement des sampans tricolores, les Géants d’Europe, les voiliers américains pleins de pétrole, et tous les chameaux de Madian, les cargos de Hambourg et de Londres, les colporteurs de la côte et des Iles. Tout est clair ; j’entre dans une clarté si pure que ni l’intime conscience, semble-t-il, ni mon corps n’y offrent résistance. Il fait délicieusement froid ; la bouche fermée, je respire le soleil, les narines posées sur l’air exhilarant. Cependant, midi sonne à la tour de la Douane, la boule du sémaphore tombe, tous les bateaux piquent l’heure, le canon tonne, l’Angélus tinte quelque part, le sifflet des manufactures longtemps se mêle au vacarme des sirènes. Toute l’humanité se recueille pour manger. Le sampanier à l’arrière de sa nacelle, soulevant le couvercle de bois, surveille d’un œil bien content la maturité de son fricot ; les grands coulis déchargeurs empaquetés d’épaisses loques, la palanche sur l’épaule comme une pique, assiègent les cuisines en plein vent, et ceux qui sont déjà servis, assis sur le rebord de la brouette à roue centrale, tout riants, la boule de riz fumante entre les deux mains, en éprouvent, du bout gourmand de la langue, la chaleur. Le niveau régulateur s’exhausse ; toutes les bondes de la