Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/146

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inutile, je ne vous ferai point languir par un exorde ennuyeux ; je dois seulement vous avertir que je retracerai toutes mes actions avec la même liberté que je les ai commises.

La vérité, là vérité toute nue guidera ma plume. Je ne prendrai même pas la peine de couvrir de la plus légère gaze mes crayons ; je peindrai les choses d’après nature, sans crainte de violer les lois de la décence, qui ne sont pas faites pour des personnes aussi intimement amies que nous. D’ailleurs, vous avez une connaissance trop consommée des plaisirs réels pour que leur peinture vous scandalise. Vous n’ignorez pas que les gens d’esprit et de goût ne se font nul scrupule de décorer leurs cabinets de nudités de toute espèce, quoique, par la crainte qu’ils ont de blesser l’œil et les préjugés du vulgaire, ils n’aient garde de les exposer dans leurs salons.

Passons à mon histoire. On m’appelait, étant enfant, Frances Hill[1]. Je suis née de parents pauvres, dans un petit village près de Liverpool, dans le Lancashire, de parents extrêmement pauvres et, je le crois pieusement, très honnêtes.

Mon père, qu’une infirmité empêchait de travailler aux gros ouvrages de la campagne, gagnait, à faire des filets, une très médiocre subsistance, que ma mère n’augmentait guère en tenant une petite école de filles dans le voisinage. Ils avaient eu plusieurs enfants dont j’étais restée seule en vie.

  1. Frances, Françoise ; le diminutif de Frances est Fanny, c'est-à-dire Fanchonon, Fanchonette ; Hill signifie colline, et l'édition de 1736 de la traduction abrégée par Lambert des Memoirs of a woman of pleasure est intitulée Apologie de la fine galanterie de Mlle Françoise de la Montagne. Mais les traducteurs ne francisent plus les noms propres.