Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/147

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Mon éducation, jusqu’à l’âge de quatorze ans passés, avait été des plus communes. Lire ou plutôt épeler, griffonner et coudre assez mal, faisait tout mon savoir. À l’égard de mes principes de vertu, ils consistaient dans une parfaite ignorance du vice et dans une sorte de retenue et de timidité naturelles à notre sexe, dans la première période de la vie, où les objets vous effrayent surtout par leur nouveauté ; mais alors nous ne guérissons de la peur que trop tôt aux dépens de notre innocence, lorsque nous nous habituons peu à peu à ne plus voir, dans l’homme, une bête féroce prête à nous dévorer.

Ma pauvre mère avait toujours été tellement occupée de son école et des petits embarras du ménage qu’elle n’avait employé que bien peu de temps à m’instruire. Au reste, elle était trop ignorante du mal pour être en état de me donner des leçons qui pussent m’en garantir.

J’étais entrée dans ma quinzième année, lorsque les chers et regrettables auteurs de ma vie moururent de la petite vérole, à quelques jours l’un de l’autre, Mon père mourut le premier, entraînant ma mère dans la tombe. Je me trouvai, par leur mort, une malheureuse orpheline sans ressources et sans amis, car mon père, qui était du comté de Kent, s’était établi par hasard dans le village. Je fus aussi attaquée de cette contagieuse maladie, mais fort légèrement ; je fus bientôt hors de danger et (avantage dont j’ignorais alors la valeur) sans qu’il m’en restât aucune marque. Je passe sur le chagrin, la véritable affliction où cette perte me plongea. Le temps et l’humeur volage de la jeunesse n’en effacèrent que trop tôt de ma mémoire la triste et précieuse époque. Mais ce qui contribua surtout à me la faire oublier, ce fut l’idée, qu’on me mit tout à coup dans la tête, d’aller à Londres chercher une place. Une jeune femme, nommée Esther Davis, alors dans notre village, devait retourner