Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/153

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Elle me donna audience avec toute la dignité et le sérieux d’un petit ministre d’État, et m’ayant toisée de l’œil, elle me répondit, après m’avoir fait au préalable lâcher un schelling, que les conditions pour femmes étaient fort rares, et surtout pour moi qui ne paraissais guère propre aux ouvrages de fatigue ; mais qu’elle verrait pourtant sur son livre s’il y avait quelque chose qui me convînt, quand elle aurait expédié quelques-unes de ses pratiques.

Je me retirai tristement en arrière, presque désespérée de la réponse de cette vieille médaille. Néanmoins, pour me distraire, je hasardai de promener mes regards sur l’honorable cohue dont je faisais partie, et parmi laquelle j’aperçus une lady (car, dans mon extrême ignorance, je la crus telle) : c’était une grosse dame à trogne bourgeonnée, d’environ cinquante ans, vêtue d’un manteau de velours au cœur de l’été, tête nue. Elle avait les yeux fixés avidement sur moi, comme si elle eût voulu me dévorer. Je me trouvai d’abord un peu déconcertée et je rougis, mais un sentiment secret d’amour-propre me faisait interpréter la chose en ma faveur ; je me rengorgeai de mon mieux et tâchai de paraître le plus à mon avantage qu’il me fût possible. Enfin, après m’avoir bien examinée tout son saoul, elle s’approcha d’un air extrêmement composé et me demanda si je voulais entrer en service. À quoi je répondis que oui, avec une profonde révérence.

« Vraiment, dit-elle, j’étais venue ici à dessein de chercher une fille… Je crois que vous pourrez faire mon affaire, votre physionomie n’a pas besoin de répondant… Au moins, ma chère enfant, il faut bien prendre garde ; Londres est un abominable séjour… Ce que je vous recommande, c’est de la soumission à mes avis et d’éviter surtout la mauvaise compagnie. » Elle ajouta à ce discours mainte autre phrase plus que persuasive pour enjôler une innocente