Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/154

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campagnarde, qui se croyait trop heureuse de trouver une telle condition, car je me figurais avoir affaire à une dame fort respectable.

Cependant, la vieille teneuse de livre, à la vue de qui notre accord s’était passé, me souriait de façon que je m’imaginai sottement qu’elle me congratulait sur ma bonne chance : mais j’ai découvert depuis que les deux gueuses s’entendaient comme larrons en foire et que cette honnête maison était un magasin d’où Mistress Brown, ma maîtresse, tirait souvent des provisions neuves pour accommoder ses chalands. Elle était si contente que, de peur que je lui échappasse, elle me jeta immédiatement dans un carrosse, et ayant été retirer ma boîte de mon auberge, nous fûmes à une boutique dans Saint-Paul’s-Churchyard, où elle acheta une paire de gants qu’elle me donna ; puis elle nous fit conduire et descendre droit à son logis, dans …Street !

Elle m’avait, durant la route, amusée par toutes sortes d’histoires plus croyables les unes que les autres, sans laisser échapper une syllabe d’où je pusse rien conclure, sinon que, par le plus heureux des hasards, j’étais tombée dans les mains de la meilleure maîtresse, pour ne pas dire la meilleure amie, qu’il me fût possible de trouver en ce bas monde. En conséquence, je franchis le seuil toute confiante et joyeuse, me promettant, aussitôt installée, d’informer Esther Davis de ma rare bonne fortune.

L’apparence du lieu, le goût et la propreté des meubles ne diminuèrent rien de la bonne opinion que j’avais conçue de ma place. Le salon où je fus introduite me parut magnifiquement meublé ; car, en fait de salon, je ne connaissais encore que les salles d’auberge où j’avais passé sur ma route. Il y avait deux trumeaux dorés et un buffet garni de quelques pièces d’argent bien en évidence qui m’éblouirent. Je ne doutai pas que je ne fusse dans une maison des mieux famées.