Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/178

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Je passai dans de semblables réflexions ce jour-là, qui me parut une éternité. Combien de fois ne me prit-il pas envie d’avancer la pendule, comme si ma main eût pu en hâter le temps ? Je suis surprise que les gens de la maison ne remarquèrent pas alors quelque chose d’extraordinaire en moi, surtout lorsqu’à dîner on vint à parler de cet adorable mortel qui avait déjeuné au logis :

« Ah ! s’écriaient mes compagnes, qu’il est beau, complaisant, doux et poli !»

Elles se seraient arrachées le bonnet pour lui. Je laisse à penser si de pareils discours diminuaient le feu qui me consumait. Néanmoins l’agitation où je fus toute la journée produisit un bon effet. Je dormis assez bien jusqu’à cinq heures du matin ; je me glissai incontinent hors du lit, et m’étant habillée en un clin d’œil, j’attendis avec autant d’impatience que de crainte le moment heureux de ma délivrance. Il arriva enfin, ce délicieux moment. Alors, encouragée par l’amour, je descendis sur la pointe des pieds et gagnai la porte, dont j’avais escamoté la clef à Phœbe.

Dès que je fus dans la rue, je découvris mon ange tutélaire, qui m’attendait. Voler comme un trait à lui, sauter dans le carrosse, me jeter au cou de mon ravisseur, et fouette cocher, tout cela ne fit qu’un.

Un torrent de larmes, les plus douces que j’aie versées de ma vie, coula immédiatement de mes yeux. Mon cœur était à peine capable de contenir la joie que je ressentais de me voir entre les bras, d’un si beau jeune homme. Il me jurait, chemin faisant, dans les termes les plus passionnés, qu’il ne me donnerait jamais sujet de regretter la démarche où il m’avait embarquée. Mais, hélas ! quel mérite y avait-il dans cette démarche ? N’était-ce pas mon penchant qui me l’avait fait faire ?

En quelques minutes (car les heures n’étaient plus rien