Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/179

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pour moi), nous descendîmes à Chelsea, dans une fameuse taverne réputée pour les parties fines. Nous y déjeunâmes avec le maître de la maison, qui était un réjoui du vieux temps et parfaitement au fait du négoce. Il nous dit d’un ton gai et en me regardant malicieusement qu’il nous souhaitait une satisfaction entière ; que, sur sa foi, nous étions bien appariés ; que grand nombre de gentlemen et de ladies fréquentaient sa maison, mais qu’il n’avait jamais vu un plus beau couple ; qu’il jurerait que j’étais du fruit nouveau ; que je paraissais si fraîche, si innocente, et qu’en un mot mon compagnon était un heureux mortel. Ces éloges, quoique grossiers, me plurent infiniment et contribuèrent à dissiper la crainte que j’avais de me trouver seule à la discrétion de mon nouveau souverain ; crainte où l’amour avait plus de part que la pudeur. Je souhaitais, je brûlais d’impatience de me trouver seule avec lui, je serais morte pour lui plaire, et pourtant je ne sais comment ni pourquoi je craignais le point capital de mes plus ardents désirs. Ce conflit de passions différentes, ce combat entre l’amour et la modestie me firent pleurer de nouveau. Dieu ! que de pareilles situations sont intéressantes pour de vrais amants !

Après le déjeuner, Charles (c’était le nom du précieux objet de mes adorations), avec un sourire mystérieux, me prit par la main et me dit qu’il me voulait montrer une chambre d’où l’on découvrait la plus belle vue du monde. Je me laissai conduire dans un appartement, dont le premier meuble qui me frappa fut un lit qui semblait garni pour une reine.

Charles, ayant fermé la porte au verrou, me prit entre