Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/189

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servirait avec zèle…, que des gens de la première qualité avaient logé chez elle…, qu’un secrétaire d’ambassade et sa femme occupaient le premier…, que je paraissais une lady bien aimable… »

Charles avait eu la précaution de dire à cette babillarde que nous étions mariés secrètement ; ce qui, je crois, ne l’inquiétait guère, pourvu qu’elle louât ses chambres, mais ce mot de lady me fit rougir de vanité.

Pour vous donner une légère esquisse de son portrait, c’était une femme d’environ quarante-six ans, grande, maigre, rousse, de ces figures triviales que l’on rencontre partout. Elle avait été entretenue dans sa jeunesse par un gentleman qui, à sa mort, lui avait laissé quarante livres sterling de rente en faveur d’une fille qu’il en avait eue et qu’elle avait vendue à l’âge de dix-sept ans. Indifférente naturellement à toute autre plaisir qu’à celui de grossir son fonds à quelque prix que ce fût, elle s’était jetée dans les affaires privées ; en quoi, , grâce à son extérieur modeste et décent, elle avait fait souvent d’excellents hasards ; il lui était même arrivé de faire des mariages. En un mot, pour de l’argent, elle était ce qu’on voulait, prêteuse sur ses gages, receleuse, entremetteuse. Quoiqu’elle eût dans les fonds une grosse somme, elle se refusait le nécessaire et ne subsistait que de ce qu’elle écorniflait à ses logeurs.

Pendant que nous fûmes sous les griffes de cette harpie, elle ne laissa pas échapper une seule petite occasion de nous tondre ; ce que Charles, par son indolence naturelle, aima mieux souffrir que de prendre la peine de déloger.

Quoi qu’il en soit, je passai dans cette maison les plus délicieux moments de ma vie ; j’étais avec mon bien-aimé ; je trouvais en sa compagnie tout ce que mon cœur pouvait souhaiter. Il me menait à la comédie, au bal, à l’opéra, aux mascarades ; mais dans ces brillantes et tumultueuses assemblées, je ne