Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/190

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voyais que lui. Il était mon univers et tout ce qui n’était pas lui n’était rien pour moi.

Mon amour enfin était si excessif qu’il en venait à annihiler tout sentiment, toute étincelle de jalousie. Une première idée de ce genre me fit, en effet, si cruellement souffrir que, par amour-propre et de peur d’un accident pire que la mort, je renonçai pour toujours à m’en préoccuper. L’occasion, du reste, ne s’en présenta pas ; car si je vous racontais plusieurs circonstances dans lesquelles Charles me sacrifia des femmes beaucoup trop haut placées pour que j’ose faire la moindre allusion (ce qui, vu sa beauté, n’était pas si surprenant), je pourrais, en vérité, vous donner une preuve convaincante de sa constance ; mais, alors, ne m’accuseriez-vous pas de caresser de nouveau une vanité qui devrait être depuis longtemps satisfaite ?

Lorsque nous donnions quelque relâche à la vivacité de nos plaisirs, Charles s’en faisait un de m’instruire selon l’étendue de ses connaissances. Je recevais comme des oracles toutes les paroles qui sortaient de son adorable bouche et j’en gravais dans mon cœur jusqu’aux moindres syllabes ; la seule interruption que je ne pouvais pas me refuser, c’étaient ses baisers de ses lèvres, d’où s’exhalait un souffle plus agréable que les parfums de l’Arabie.

Je peux dire sans vanité que ses soins ne furent pas infructueux. Je perdis en moins de rien mon air campagnard et mon mauvais accent, tant il est vrai qu’il n’est pas de meilleur maître que l’amour et le désir de plaire.

Quant à l’argent, quoiqu’il m’apportât régulièrement tout ce qu’il recevait, ce n’était pas sans peine qu’il me le faisait mettre dans mon bureau ; s’il me donnait de la toilette, je l’acceptais uniquement pour lui plaire, pour être plus à son goût, et telle était ma seule ambition. Je me serais fait un plaisir du plus rude travail ; j’aurais usé mes doigts