Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/193

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mon secours. Ma grande jeunesse et mon tempérament robuste prirent insensiblement le dessus ; mais je tombai dans un état de stupidité et de désespoir qui faisait croire que je devinsse folle. Néanmoins le temps adoucit petit à petit la violence de mes peines et en émoussa le sentiment.

Mon obligeante hôtesse avait eu soin, pendant tout cet intervalle, que je ne manquasse de rien ; et quand elle me crut dans une condition à pouvoir répondre à ses vues, elle me félicita sur mon heureux rétablissement en ces termes :

« Grâce à Dieu, Miss Fanny, votre santé n’est pas mauvaise à présent. Vous êtes la maîtresse de rester chez moi tant qu’il vous plaira. Vous savez que je ne vous ai rien demandé depuis longtemps ; mais, franchement, j’ai une dette à laquelle il faut que je satisfasse sans différer. »

Et après ce bref exorde, elle me présenta un arrêté de compte pour logement, nourriture, apothicaire, etc., somme totale : vingt-trois livres sterling dix-sept schellings et six pence ; ce que la perfide, qui connaissait le fond de ma bourse, savait bien que je ne pouvais pas payer ; en même temps elle me demanda quels arrangements je voulais prendre. Je lui répondis, fondant en larmes, que j’allais vendre le peu de hardes que j’avais et que si je ne pouvais faire toute la somme, j’espérais qu’elle aurait la bonté de me donner du temps. Mais mon malheur favorisant ses lâches intentions, elle me répondit froidement que, quoi qu’elle fût touchée jusqu’au fond de l’âme de mon infortune, l’état actuel de ses affaires la mettrait dans la cruelle nécessité de m’envoyer en prison. À ce mot de prison, tout mon sang se glaça, et je fus tellement épouvantée que je devins aussi pâle qu’un criminel à la vue du lieu de son exécution.