Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/195

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enfant, ne laissez point détruire un si joli minois par le chagrin. Au bout du compte, le chagrin ne doit pas être éternel ; allons, un peu de gaîté. Voici un honorable gentleman qui a entendu parler de vos malheurs et veut vous faire plaisir. Croyez-moi, ne refusez pas sa connaissance, et, sans vous piquer d’une délicatesse hors de saison, faites un bon marché tandis que vous le pouvez. »

Mon inconnu, qui vit aisément qu’une aussi impertinente harangue était moins propre à me persuader qu’à m’irriter, lui fit signe de se taire. Alors, prenant la parole, il me dit qu’il partageait bien sincèrement mon affliction ; que ma jeunesse et ma beauté méritaient un meilleur sort ; qu’il ressentait depuis longtemps une violente passion pour moi ; mais que, connaissant mes engagements secrets avec un autre, il les avait respectés aux dépens de son repos, jusqu’à ce que la nouvelle de mon désastre, en réveillant son respectueux amour, l’avait enhardi à venir m’offrir ses services, à peine arrivé de La Haye, où il avait dû se rendre pour affaire urgente au début de ma maladie, et que la seule faveur qu’il exigeât de moi était que je daignasse les agréer. Tandis qu’il me parlait ainsi, j’eus le temps de l’examiner. Il me parut un homme d’environ quarante ans, vêtu d’un costume simple et uni, avec un gros diamant à l’un de ses doigts, dont l’éclat frappait mes yeux lorsqu’il agitait sa main en parlant et me donnait une plus haute idée de son importance ; bref, il pouvait passer pour ce qu’on appelle communément un bel homme brun, avec un air de distinction naturel à sa naissance et à sa condition. Je ne lui répondis qu’en versant un torrent de larmes, et ce fut un bonheur pour moi que mes sanglots étouffassent ma voix, car je ne savais que lui dire.

Quoi qu’il en soit, la situation attendrissante où il me vit le frappa jusqu’au fond du cœur. Il tira précipitamment sa