Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/196

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bourse et paya, sans différer, jusqu’au dernier farthing, tout ce que je devais à Mme Jones. Il en prit une quittance en bonne forme, qu’il me força de garder. Cette infâme racoleuse n’eut pas plus tôt touché son argent qu’elle nous laissa seuls.

Cependant le gentleman, qui n’était rien moins que neuf dans de pareilles affaires, s’approcha d’un air officieux et du coin de son mouchoir m’essuya les pleurs qui me baignaient le visage ; après quoi il s’aventura à me donner un baiser. Je n’eus pas le courage de faire la moindre résistance, me regardant dès lors comme une marchandise qui lui était dévolue par le déboursé qu’il venait de faire. Insensiblement il me mania la gorge. Enfin, me trouvant docile au delà de ses espérances, il fit de moi tout ce qu’il voulut. Quand il eut assouvi sa brutalité sans nul respect pour ma déplorable condition, mes yeux se dessillèrent et je gémis (trop tard à la vérité) de la honteuse faiblesse à laquelle je venais de succomber. Je m’arrachais les cheveux, je me tordais les mains, je me frappais la poitrine comme une folle. Si quelqu’un m’eût dit quelques instants auparavant que je serais infidèle à Charles, j’aurais été capable de lui cracher au visage. Mais, hélas ! notre vertu et notre fragilité ne dépendent que trop souvent des circonstances où nous nous trouvons. Séduite comme je le fus à l’improviste, trahie par un esprit accablé sous le poids de ses afflictions, saisie des plus grandes frayeurs à l’idée seule de prison, ce sont des conjonctures bien délicates ; et sans chercher à m’excuser, il n’en est guère qui pût répondre de ne pas commettre la même faute dans un cas pareil. Au reste, comme il n’y a que le premier pas qui coûte, je crus que je n’étais plus en droit de refuser ses caresses après ce qui s’était passé. Suivant cette réflexion, je me regardai comme lui appartenant.