Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/200

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Il revint à six heures me prendre pour me conduire dans un nouveau logis, chez un boutiquier, lequel, par intérêt, était entièrement à la dévotion de M. H… Il lui louait le premier étage, très galamment meublé, pour deux guinées par semaine, et j’y fus aussitôt installée avec une fille pour me servir.

M. H… resta encore toute la soirée avec moi ; on nous apporta d’une taverne voisine un souper succulent, et quand nous eûmes mangé, la fille me mit au lit, où je fus bientôt suivie par mon champion, qui, malgré les fatigues de la veille, se piqua, comme il me dit, de faire les honneurs de mon nouvel appartement. Insensiblement je m’habituai aux bonnes façons de M. H… et j’avoue que si ses attentions et ses libéralités (soieries, dentelles, boucles d’oreilles, colliers de perles, montre en or, etc.) ne m’inspirèrent point d’amour, au moins me forcèrent-elles à lui vouer une véritable estime et l’amitié la plus reconnaissante.

Je me vis alors dans la catégorie des filles entretenues, bien logée, de bons appointements, et nippée comme une princesse.

Néanmoins, le souvenir de Charles me causant quelquefois des accès de mélancolie, mon bienfaiteur, pour m’amuser, donnait fréquemment de petits soupers chez moi à ses amis et à leurs maîtresses. Je fus ainsi lancée dans un cercle de connaissances, qui me débarrassa bientôt de ce que mon éducation de villageoise m’avait laissé de pudeur et de modestie.

Nous nous rendions les unes chez les autres et singions dans ces visites de cérémonie les femmes de qualité qui ne savent comment gaspiller leur temps, quoique parmi ces femmes entretenues (et j’en connaissais un bon nombre, sans compter quelques estimables matrones qui vivaient de leurs relations avec elles), j’en connusse à peine une seule