Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/201

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qui ne détestât parfaitement son entreteneur et, naturellement, eût le moindre scrupule de lui être infidèle si elle le pouvait sans risques. Je n’avais encore, quant à moi, aucune idée de faire du tort au mien.

Il y avait déjà six mois que nous vivions tous deux du meilleur accord du monde, lorsqu’un jour, revenant de faire une visite, j’entendis quelque rumeur dans ma chambre. J’eus la curiosité de regarder à travers le trou de la serrure. Le premier objet qui me frappa fut M. H… chiffonnant ma servante Hannah, qui se défendait d’une manière aussi gauche que faible, et criait si bas qu’à peine pouvais-je l’entendre :

« Fi donc, monsieur, cela convient-il ? De grâce, ne me tourmentez point. Une pauvre fille comme moi n’est point faite pour vous. Seigneur ! si ma maîtresse allait venir !… Non, en vérité, je ne le souffrirai pas ; au moins je vous avertis, je m’en vais crier. »

Ce qui pourtant n’empêcha point qu’elle se laissât tomber sur le lit de repos, et mon homme ayant levé ses cotillons, elle crut inutile de faire une plus longue résistance. Il monta dessus, et je jugeai à ses mouvements nonchalants qu’il se trouvait logé plus à l’aise qu’il ne s’en était flatté. Cette belle opération finie, M. H… lui donna quelque monnaie et la congédia.

Si j’avais été amoureuse, j’aurais certainement interrompu la scène et tapage ; mais mon cœur n’y prenant aucun intérêt, quoique ma vanité en souffrît, j’eus assez de sang-froid pour me contenir et tout voir jusqu’à la conclusion. Je descendis cinq ou six degrés sur la pointe du pied et remontai à grand bruit, comme si j’arrivais à l’instant même. J’entrai dans la salle, où je trouvai mon fidèle berger se promenant en sifflant, d’un air aussi flegmatique que s’il ne s’était rien passé. J’affectai d’abord un air si serein et si gai que