Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/212

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M. H…, que nous n’attendions pas, nous surprit précisément au plus intéressant de la scène.

Je jetai un cri terrible en abattant mes jupes. Le pauvre Will, comme frappé d’un coup de foudre, demeura interdit et aussi pâle qu’un mort. M. H… nous regarda quelque temps l’un et l’autre, avec un visage où la colère, le mépris et l’indignation paraissaient dans leur plus haut degré, et, reculant en arrière, se retira sans dire un mot. Toute troublée que j’étais, je l’entendis fermer la porte à double tour.

Pendant ce temps-là, le malheureux complice de mon infidélité agonisait de frayeur, et j’étais obligée d’employer le peu de courage qui me restait pour le rassurer. La disgrâce que je venais de lui causer me le rendait plus cher. Je lui baignais le visage de mes pleurs, je le baisais, je le serrais dans mes bras ; mais le pauvre garçon, devenu insensible à mes caresses, ne remuait pas plus qu’une statue.

M. H… rentra un moment après, et nous ayant fait venir devant lui, il me demanda d’un ton flegmatique à me désespérer ce que je pouvais dire pour justifier l’affront humiliant que je venais de lui faire. Je lui répondis en pleurant, sans aggraver mon crime par le style audacieux d’une courtisane effrontée, que je n’aurais jamais eu la pensée de lui manquer à ce point s’il ne m’en avait, en quelque manière, donné l’exemple, en s’abaissant jusqu’aux dernières privautés avec ma servante ; que toutefois je ne prétendais pas excuser ma faute par la sienne ; qu’au contraire, j’avouais que mon offense était de nature à ne pas mériter de pardon, mais que je le suppliais d’observer que c’était moi qui avais séduit son valet dans un esprit de vengeance. Enfin, j’ajoutai que je me soumettais volontiers à tout ce qu’il voudrait ordonner de moi, à condition qu’il ne confondît point l’innocent et le coupable.

Il sembla un peu déconcerté quand je lui rappelai l’aventure