Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/213

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de ma servante ; mais, s’étant remis bientôt, il me répondit à peu près en ces termes :

« Madame, j’avoue à ma honte que vous me l’avez bien rendu et que je n’ai que ce que je mérite. Nous nous sommes cependant trop offensés tous deux pour continuer à vivre désormais ensemble. Je vous accorde huit jours pour chercher un autre logement. Ce que je vous ai donné est à vous. Votre hôte vous paiera de ma part cinquante guinées et vous délivrera une quittance générale de tout ce que vous lui devez. Je me flatte que vous conviendrez que je ne vous laisse pas dans un état pire que celui où je vous ai prise, ni au-dessous de ce que vous méritez. Ne vous en prenez point à moi si je ne fais pas mieux les choses. »

Alors, sans attendre ma réponse, il s’adressa à Will :

« Quant à vous, beau freluquet, je prendrai soin de votre personne pour l’amour de votre père. La ville n’est pas un séjour qui convient à un pauvre idiot tel que vous ; demain vous retournerez à la campagne. »

À ces mots, il sortit. Je me prosternai à ses pieds pour tâcher de le retenir. Ma situation parut l’émouvoir ; néanmoins il suivit son chemin, emmenant avec lui son jeune valet, qui sûrement s’estimait fort heureux d’en être quitte à si bon marché.

Je me trouvai encore une fois abandonnée à mon sort par un homme dont je n’étais pas digne ; et toutes les sollicitations que j’employai pendant la semaine qu’il m’avait accordée pour chercher un logis ne purent l’engager à me revoir une seule fois.

Will fut renvoyé immédiatement à son village, où, quelques mois après, une grosse veuve, qui tenait une bonne hôtellerie, l’épousa : il y avait tout au moins, je puis le jurer, une excellente raison pour qu’ils vécussent heureux ensemble.