Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/223

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guère attendue de personnes de mon sexe, mais elles étaient réellement dressées à sacrifier toute jalousie, toute compétition de charmes, dans l’intérêt commun ; elles me considéraient comme une associée qui apportait un bon stock de marchandises dans le commerce de la maison. Elles s’empressèrent autour de moi, m’examinèrent de toutes parts, et, comme mon admission dans cette joyeuse troupe était l’occasion d’une petite fête, on laissa de côté l’ouvrage de parade. Mme Cole, après quelques recommandations spéciales, m’abandonna à leurs caresses et sortit pour ses affaires.

La parité de sexe, d’âge, de profession et de vues créa bientôt entre nous une familiarité et une intimité aussi grandes que si nous nous connaissions depuis des années. Elles me firent voir la maison, leurs appartements respectifs remplis de meubles confortables et luxueux et, surtout, un spacieux salon où une société joyeuse et choisie se réunissait d’ordinaire en parties de plaisir : les filles y soupaient avec leurs galants, laissant libre carrière à leur licence ; la crainte, la modestie, la jalousie leur étaient formellement interdites ; c’était, en effet, un des principes de la société que ce qui pouvait manquer en fait de plaisir de sentiment fût compensé, dans une large mesure, pour les sens, par une variété piquante et par tous les charmes de la volupté. Les auteurs et les soutiens de cette secrète institution pouvaient à bon droit, dans leur enthousiasme, se proclamer les restaurateurs de l’âge d’or et de sa simplicité de plaisir, plutôt que de voir leur innocence si injustement flétrie des mots de crime et de honte.

Le soir venu et les volets de la boutique fermés, l’académie fit son ouverture. Toutes les filles, jetant leur masque de fausse modestie, se livrèrent à leurs galants respectifs pour le plaisir ou l’intérêt, et il convient d’observer que