Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/231

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tout son corps, je parvins à discerner une certaine place couverte d’une mousse noire et luisante au milieu de laquelle je voyais un objet rond et souple, qui m’était inconnu et se jouait en tous sens au moindre mouvement de l’eau ; mais malgré ma modestie je ne pus détourner mes regards. Enfin toutes mes craintes firent place à des désirs et à des transports, qui semblaient me ravir. Le feu de la nature, qui avait été caché si longtemps, commença à développer son germe ; et je connus pour la première fois que j’étais fille.

« Cependant le jeune homme avait changé de position. Il nageait maintenant sur le ventre, fendant l’eau de ses jambes et de ses bras, du modelé le plus parfait qui se pût imaginer ; ses cheveux noirs et flottants se jouaient sur son cou et ses épaules, dont ils rehaussaient délicieusement la blancheur. Enfin le riche renflement de chair, qui, de la chute des reins, s’étendait en double coupole jusqu’à l’endroit où les cuisses prennent naissance, formait, sous la transparence de l’eau ensoleillée, un tableau tout à fait éblouissant.

« Pendant que je résumais en moi-même les sentiments qui agitaient mon jeune cœur, la vue toujours fixée sur l’aimable baigneur, je le vis se plonger au fond de l’eau aussi rapidement qu’une pierre. Comme j’avais souvent entendu parler de la crampe et des autres accidents que les nageurs ont à craindre, je m’imaginai qu’une telle cause avait occasionné sa chute. Pleine de cette idée et l’âme remplie de l’amour le plus vif, je volai, sans faire la moindre réflexion sur ma démarche, vers le lieu où je crus que mon secours pouvait être nécessaire. Mais ne voyant plus nulle trace du jeune homme, je tombai dans une faiblesse qui doit avoir duré longtemps, car je ne revins à moi que par une douleur aiguë qui ranima mes esprits vitaux et ne m’éveilla que