Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/232

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pour me voir, non seulement entre les bras de l’objet de mes craintes, mais tellement prise, qu’il avait complètement pénétré au-dedans de moi-même, si bien que je n’eus ni la force de me dégager ni le courage de crier au secours. Il acheva donc de triompher de ma virginité. Immobile, sans parler, couverte du sang que mon séducteur venait de faire couler et prête à m’évanouir de nouveau, par l’idée de ce qui venait de m’arriver, le jeune gentleman voyant l’état pitoyable où il m’avait réduite, se jeta à mes genoux, les yeux remplis de larmes, en me priant de lui pardonner et en me promettant de me donner toute la réparation qu’il serait en son pouvoir de me faire. Il est certain que si mes forces l’avaient permis dans cet instant, je me serais portée à la vengeance la plus sanglante, tant me parut affreuse la manière dont il avait récompensé mon ardeur à le sauver ; quoique à la vérité il ignorât ma bonne volonté à cet égard. « Mais avec quelle rapidité l’homme ne passe-t-il point d’un sentiment à un autre ? Je ne pus voir sans émotion mon aimable criminel fixé à mes pieds et mouiller de larmes une main que je lui avais abandonnée et qu’il couvrait de mille tendres baisers. Il était toujours nu, mais ma modestie avait reçu un outrage trop cruel pour redouter désormais la contemplation du plus beau corps qu’on puisse voir, et ma colère s’était tellement apaisée que je crus accélérer mon bonheur en lui pardonnant. Cependant je ne pus m’empêcher de lui faire des reproches ; mais ils étaient si doux ! J’avais tant de soin de lui épargner l’amertume et mes yeux exprimaient si bien cette langueur délicieuse de l’amour qu’il ne put douter longtemps de son pardon ; cependant il ne voulut jamais se lever que je ne lui eus promis d’oublier son forfait ; il obtint facilement sa demande et scella son pardon d’un baiser qu’il prit sur mes lèvres et que je n’eus pas la force de lui refuser.