Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/240

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Au milieu des badinages auxquels se livrait cette joyeuse bande, on servit un élégant souper ; mon galant du jour s’assit à côté de moi, et les autres couples se placèrent sans ordre ni cérémonie. La bonne chère et les vins généreux ayant bientôt banni toute réserve, la conversation devint aussi libre qu’on pouvait le désirer, sans tomber toutefois dans la grossièreté : ces professeurs de plaisir étaient trop avisés pour en compromettre l’impression et la laisser évaporer avec des mots, avant d’en venir à l’action. Des baisers toutefois, étaient pris de temps en temps et si un mouchoir autour du cou interposait sa faible barrière, il n’était pas scrupuleusement respecté ; les mains des hommes se mettaient à l’œuvre avec leur pétulance ordinaire. Enfin, les provocations, des deux côtés, en vinrent à ce point que mon particulier ayant proposé de commencer les danses villageoises, l’assentiment fut immédiat et unanime : il présumait, ajouta-t-il en riant, que les instruments étaient bien au ton. C’était le signal de se préparer : sur quoi la complaisante Mme Cole, qui comprenait la vie, prit sur elle de disparaître ; n’étant plus apte au service personnel et satisfaite d’avoir réglé l’ordre de bataille, elle nous laissait le champ libre pour y combattre à discrétion.

Aussitôt son départ, on transporta la table du milieu de la salle sur l’un des côtés et l’on mit à sa place un sopha. Mon particulier, à qui j’en demandai le motif, m’expliqua que, « cette soirée étant spécialement donnée en mon honneur, les associés se proposaient à la fois de satisfaire leur goût pour les plaisirs variés et, en me rendant témoin de leurs exercices, de me voir dépouiller cet air de réserve et de modestie qui, à leur sens, empoisonnait la gaieté ; bien qu’à l’occasion ils prêchassent le plaisir et vécussent conformément à leurs principes, ils ne voulaient pas se poser systématiquement en missionnaires : et il leur suffisait