Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/258

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Je vous assure que ce fut peu ou point, si ce n’est dans les derniers moments où j’étais échauffée par une passion mécanique que m’avait causée ma longue résistance, car au commencement j’eus de l’aversion pour sa personne et ne consentis à ses embrassements que dans la vue du gain qui y était attaché, ce qui ne laissait pas de me faire de la peine et de m’humilier, me voyant obligée à de telles charlataneries qui n’étaient point de mon goût.

À la fin, je fis semblant de me calmer un peu par les caresses continuelles qu’il me prodiguait et je lui reprochai alors sa cruauté, dans des termes qui flattaient son orgueil, disant qu’il m’était impossible de souffrir une nouvelle attaque, qu’il m’avait accablée de douleur et déplaisir. Il m’accorda donc généreusement une suspension d’armes et, comme la matinée était fort avancée, il demanda. Mme Cole, à qui il fit connaître son triomphe et conta les prouesses de la nuit, ajoutant qu’elle en verrait les marques sanglantes sur les draps du lit où le combat s’était donné.

Vous pouvez aisément vous imaginer les singeries qu’une femme de la trempe de notre vénérable abbesse mit en jeu dans ce moment. Ses exclamations de honte, de regret, de compassion ne finirent point : elle me félicitait surtout de ce que l’affaire se fût passée si heureusement ; et c’est en quoi je m’imagine qu’elle fut bien sincère. Alors elle fit aussi comprendre que, comme ma première peur de me trouver seule avec un homme était passée, il valait mieux que j’allasse chez notre ami pour ne point causer de scandale à sa maison ; mais ce n’était réellement que parce qu’elle craignait que notre train de vie ordinaire ne se découvrît aux yeux de Mr. Norbert ; qui acquiesça volontiers à sa proposition, puisqu’elle lui procurait plus d’aisance et de liberté sur moi.

Me laissant alors à moi-même pour goûter un repos dont