Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/288

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il avait aussi tout l’enjouement et toute la complaisance de la jeunesse. Il était outre cela excellent connaisseur du vrai plaisir et m’aimait avec dignité ; ce qui faisait oublier toutes ces idées dégoûtantes que la vue d’un vieux galant fait naître ordinairement.

Pour couper court, ce gentleman me prit chez lui, et je vécus pendant huit mois fort contente, lui donnant de mon côté toutes les marques d’amour et de respect qu’il pouvait prétendre ; ce qui me l’attacha de telle sorte que, mourant peu de temps après d’un froid qu’il gagna en courant de nuit à un incendie du voisinage, il me nomma son héritière et exécutrice de ses dernières volontés.

Après lui avoir rendu les derniers devoirs de la sépulture, je regrettai sincèrement mon bienfaiteur, dont le tendre souvenir ne sortira jamais de ma mémoire et dont je louerai toujours le bon cœur.

Je n’avais pas encore dix-neuf ans, j’étais belle, j’étais riche. De tels avantages devraient être plus que suffisants pour satisfaire quiconque les possède ; néanmoins, semblable au malheureux Tantale, je voyais mon bonheur sans pouvoir y goûter. Tandis que je vivais chez Mme Cole, le délire de la débauche avait en quelque sorte suspendu mes regrets et banni de mon cœur le souvenir de ma première passion. Mais dès que je me vis rendue à moi-même, affranchie de la nécessité de me prostituer pour vivre, Charles reprit son empire sur mon âme ; son image adorable me suivit partout, et je sentis que s’il n’était témoin de ma félicité, s’il ne la partageait pas, je ne pourrais jamais être heureuse. J’avais appris, pendant mon séjour à Marylebone, que son père était mort et que ce précieux objet de ma tendre affection devait revenir incessamment en Angleterre. Je vous laisse à penser, ma chère amie, vous qui connaissez ce que c’est que le véritable amour, avec quel excès de joie, je reçus