Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/59

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L’effet n’en fut pas long, car Morphée s’empara aussitôt de ses sens. Emilie étant ainsi livrée au sommeil, le valet de chambre et la sœur prétendue se retirèrent, lorsque milord, qui attendait dans une chambre voisine l’issue de l’affaire, entra et se livra sans beaucoup de difficultés à ses désirs brûlants. Emilie s’éveilla et s’aperçut trop sensiblement de sa situation ; elle connaissait milord ; elle vit qu’elle était perdue. Milord s’efforça de l’apaiser, il lui dit que sa passion pour elle était si forte qu’il n’était plus le maître de sa raison, qu’il l’adorait, l’idolâtrait, qu’il lui donnait carte blanche sur les conditions qu’elle lui imposerait pour vivre avec lui ; une voiture, une maison élégante, cinq cents livres sterling, etc., étaient des tentations auxquelles peu de femmes ne résistent pas. Ces propositions plaidèrent tellement en sa faveur qu’elle s’abandonna donc entièrement à sa discrétion. Il la mit aussitôt en possession de ce qu’il lui avait promis. Mais, hélas ! la satiété des complaisances répétées du même objet fort souvent nous ennuie. Après la révolution de plusieurs mois, milord s’aperçut que sa passion était bien diminuée ; sous le prétexte de la jalousie, il lui chercha donc une querelle qui rompit leur liaison.

« Une jeune personne âgée tout au plus de vingt ans et ayant les charmes d’Emilie a rarement la prudence suffisante pour profiter du présent et amasser pour l’avenir. Imaginez-vous une taille majestueuse, une figure aimable et remplie de grâces, les traits les plus réguliers, les yeux les plus séduisants, des lèvres qui appellent le baiser, une belle bouche ornée de deux rangées d’ivoire qui, par leur régularité et leur blancheur, enchantent la vue ; imaginez-vous, dis-je, une telle personne et ne vous étonnez pas si le miroir fidèle d’Emilie lui disait qu’elle avait de justes prétentions à la conquête universelle ; que si milord l’avait adorée,