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AU SOIR DE LA PENSÉE

au prix du plus beau sang profusément versé. Cependant, ce même bouddhisme, chassé de sa patrie, s’installait dans l’Extrême Asie, pour diviniser son malheureux fondateur (comme il advint au prédicateur de Galilée), en compagnie des Dieux mêmes que les apôtres chinois avaient cru remplacer. De grands changements de mots pour rester le plus près possible des émotivités, des gestes du temps passé.

Où en sommes-nous donc ? Que chercher, que vouloir et que faire, dans cette inextricable jungle d’exubérantes Divinités ? L’évolution commande de nouvelles activités de l’homme, et l’on ne nous offre que des nouveautés de verbe sans une suffisante correspondance avec les actes vainement annoncés. Ne serait-ce pas que le problème est insoluble dans les données que théologie et métaphysique s’obstinent à lui imposer ? La morale d’absolutisme divin, avec ses sanctions impitoyables, n’a rien produit des réformations promises. Les victoires de verbalisme n’ont réussi qu’à couronner de belles paroles par des prolongements de barbarie. Avec de sublimes ambitions d’achèvements divins, n’ayant rien su changer de nous-mêmes, nous n’avons pu que nous immobiliser. Ni l’idéalisme humain, hypothétiquement réalisé aux célestes séjours, ni nos sanctions terrestres hasardeusement adoucies, n’ont donné les résultats attendus.

N’y a-t-il point quelque autre voie d’une réformation plus efficace ? Renoncer au « divin » qui nous fuit, paraît encore trop cruel à ceux qui ne peuvent vivre que de mots. Est-il donc si malaisé d’être ce que nous sommes ? Des exemplaires d’humanité sans autre aide que de nous-mêmes, et mis par là dans la nécessité de faire confiance à nos propres moyens ? Cela semble trop simple à nos ambitions de parades. Être soi paraît plus difficile que de se dépasser. À l’effort de volonté continue nous préférons la transcendance d’un verbalisme qui nous égare dans les nuées.

Cependant, nous pouvons découvrir, sans aucune peine, que ceux d’entre nous qui vivent hors des prédications du sacerdoce n’offrent pas un moindre étalon de moralité que tous autres, avec l’incomparable avantage d’échapper aux feintes des hypocrisies utilitaires. Leur héroïque résistance aux atroces persécutions a fait d’eux les maîtres de l’idéalisme humain par les merveilleux progrès de l’évolution souveraine qui leur est due.