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CHAPITRE II

LE MONDE, L’HOMME

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De ma terrasse de sable où vient me chercher, sous les feux des étoiles, la molle invitation du flot endormi, je vois, aux signes imprécis du jour, s’égrener les vapeurs d’une aérienne rosée. Verdoyante ou brûlée, dans l’attente des choses, la terre s’offre immobile aux décrets de l’inévitable. Le lourd silence des engourdissements planétaires me charge d’une obsession de cauchemar heureux, coupé par l’Océan d’un rythme de berceuse qui s’achève parfois en des plaintes de volupté. C’est le drame cosmique de l’homme qui s’annonce dans l’éternelle opposition de l’ombre et de la lumière au combat pour les joies ou les peines de nos sensibilités.

Le ciel imprécis se dispose. D’un léger trait de son « voile de safran », l’aurore marque, sur la voûte obscure, un jeune élan de volonté. L’anticipation de quelque chose qui n’est pas encore, et qui, tout aussitôt, ne sera plus. Quoi donc ? Les rythmes du sommeil et de l’éveil qui se succèdent, à toute heure, en d’éphémères passages aux cadences du jour et de la nuit.

Le monde attend. Il semble que rien n’arrive. Cependant, des tressaillements élémentaires nous avertissent qu’un événement est décidé. Au cœur de l’invisible, on ne sait quels gestes s’ébauchent, on ne sait comment pressentis. Là-bas, en deçà de ma nuit, l’astre prochain suit son cours irrévocable vivifiant au passage ce qui était l’ombre tout à l’heure, pour oublier bientôt le jour qui va venir. Des lueurs effarouchées prodi-