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CONNAÎTRE

tous les savants du monde et par l’application courante, est d’une irréparable déception. En vain apportera-t-on le détail de toutes expériences. Au fond de son couvent, où personne n’a pu l’interroger, Bernadette Soubirous enfouit l’explication de son « miracle ». Les foules accourent à Lourdes, et le savant se voit honni. L’inconcevable « miracle » ne serait-il point de tant d’intelligences dévoyées ?

Aux malheureux qui se plaignent que la science de l’homme est relative, pour lui opposer la Révélation « infaillible », maîtresse de la vérité absolue, il serait bon de montrer que, sans la relativité de notre connaissance, il ne subsisterait rien de notre personnalité, tandis que nos insuffisances mêmes conditionnent la dignité de notre vie. Admettons que, par impossible ; le relatif puisse s’assimiler l’absolu et que tout l’inconnu du monde nous soit magiquement connu. De la mentalité humaine, il ne resterait rien, puisque nous serions Dieux par l’intelligence. Et si nos soi-disant déistes étaient capables de construire les aspects de leur Divinité, ils sauraient que la première condition de l’ « Infini » défini serait d’un équilibre de perfection échappant à toute impulsion d’activité. Si le Dieu subjectif de notre imagination était capable de se constituer dans l’objectivité véritable, il se trouverait sans raison d’agir puisqu’il ne lui manquerait rien. C’est de quoi ne pouvaient s’embarrasser les premiers fétichistes qui conçurent leurs Dieux dans l’ignorance de toutes choses, pour les léguer tout neufs à nos grandiloquents raisonneurs.


Sans pousser si rigoureusement l’aventure d’une trop redoutable analyse, contentons-nous de prendre l’homme tel que les phénomènes cosmiques nous l’ont donné. Que connait-il de l’univers ? L’un nous déclare qu’il connaît tout parce que quelqu’un, qui n’a rien appris d’expérience, le lui a dit avec « autorité ». L’autre, à qui ne peuvent suffire les vanités de l’absolu, fait confiance à l’observation des choses qui lui montre des mouvements à repérer par des anticipations de synthèses susceptibles de vérification. Moyennant quoi il s’entend dire par celui qui sait tout sans effort de connaître, qu’il ne sait rien et n’en pourra jamais savoir davantage. Cependant, l’obstiné chercheur continue de colliger ses données d’expérience pour en construire des édifices de connaissance ignorés de celui qui dit tout con-