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AU SOIR DE LA PENSÉE

de l’observation contrôlée. Est-ce « faillite de la science expérimentale » si nos accumulations de contre-épreuves laissent inexplorées des champs d’inconnu, parce que notre entendement n’est que de relativité ? Au nom de qui, au nom de quoi, cette proclamation d’une déchéance de l’observation nous est-elle signifiée ? La faillite des corroborations de positivité de l’intelligence humaine serait prononcée précisément par ceux-là mêmes qui n’osent pas lui fournir la chance de l’épreuve. Et parce qu’ils ne nous apportent aucun moyen de vérification, il faudrait que leur témoignage d’impuissance triomphât de l’observation contrôlée.

Le fait, tout simple, est que Dieu et ses anges n’ont pas encore été « observés ». On nous expose, sans doute, qu’ils se sont montrés à des voyants qui ont dit, mais se sont trouvés dépourvus de tous moyens de prouver. Je vois bien qu’un buisson en feu, une voix, de l’eau qui jaillit d’un rocher sont des « preuves » suffisantes pour Moïse. Mais la preuve scientifique n’est preuve que lorsqu’elle peut s’établir pour tout le monde à tout moment. Est-ce donc la ce qui fait sa « faillite » ? Un homme qu’on croyait mort, et qui ne l’est pas ne prouve rien, sinon que le fait de la mort n’avait pas été suffisamment vérifié.

Si bien qu’au contraire de la preuve scientifique qui demeure en permanence, il a fallu des successions indéfinies de miracles pour prouver (par quels détours !) l’intervention d’une Divinité qui pourrait d’autant mieux se montrer ouvertement qu’elle ne peut avoir aucune raison de se cacher. Le « miracle » est-il, comme il arrive le plus souvent, d’une apparente interversion des lois de la nature ? Le savant n’y peut voir qu’un appel à des recherches nouvelles. Une pierre qui tombe est un aussi grand « miracle » qu’une pierre qui monterait de son propre mouvement. Tout est « miracle » ou rien, et la condamnation du « miracle », c’est qu’il est toujours à recommencer. Marie Alacoque et Bernadette Soubirous sont-elles d’aussi bons juges des phénomènes qu’un observateur s’obstinant à éliminer méthodiquement toutes chances de méprises pour fortifier, jusque dans les plus minutieux détails, la somme d’expérience qui doit finalement s’imposer ? Cela, pour s’entendre dire, par ceux qui n’ont pu faire apparaître l’ombre d’une preuve expérimentale à l’appui de leurs affirmations que la connaissance soigneusement contrôlée par