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AU SOIR DE LA PENSÉE

savant s’évertue. Science du moindre effort, dont l’irréparable faiblesse est dans l’élimination d’un contrôle que la complicité générale permet trop aisément d’esquiver. Souvenons-nous que le doute fut le fruit d’une évolution commencée, et qu’aux âges des méconnaissances primitives, le mot n’avait pas même de signification précisée. Dès qu’il se fit entendre, il parut « sacrilège », et ce fut au bourreau qu’il dut rendre des comptes. Le doute ne relève plus aujourd’hui que de la réprobation des Églises, qui, sans le secours de Satan, seraient bien embarrassées.

Pendant combien de siècles encore l’humanité restera-t-elle, en mille formes successives, la proie volontaire des « orthodoxies » qui ont commencé par tout « savoir » avant d’avoir rien observé. La science a réhabilité le doute, au scandale de ceux qui ne le connaîtront jamais. Prophètes, hérésies, sorcelleries, démonologies, magies, Sibylles, Pythonisses, Oracles, Augures, Fées, Elfes, Lutins, Gnomes, Génies, Goules, Vampires, Fantômes, Kobolds, kabbale, gnose, miracles, ont eu leur jour et l’ont encore autour de nous — prolongements de l’esprit atavique à qui manquèrent les moyens de rechercher comment se posent les problèmes avant d’en venir à les aborder. Dans tous les cas, il resterait encore à nous faire connaître pourquoi Dieu a créé le monde. Si l’on tentait de nous le dire, la faillite du des- sein providentiel éclaterait d’évidence à tous les yeux, puisque l’événement n’aboutit qu’à un formidable accroissement de maux sans compensation d’utilité.

Même s’il était universellement admis que le monde fut le caprice d’une intelligence omnipotente, encore ce postulat devrait-il apporter ses preuves au tribunal de la connaissance positive. Il l’a tenté, mais avec quel succès ? On vous dira que les « preuves » abondent. Il n’eût été besoin que d’une seule, à la condition qu’elle fut universellement décisive[1]. Or, c’est justement ce que l’Église n’a jamais pu fournir. Cela l’eût dispensée des bûchers. Brûler, ou même simplement maudire, n’est pas répondre. Elle en fait l’expérience aujourd’hui. Il n’est que d’analyser tout « miracle » pour en faire ressortir l’inanité. Les

  1. Quoi de plus simple pour la Divinité que de se manifester aux incrédules, ne fût-ce que pour sauver tant d’innocents blasphémateurs des tourments éternels qu’il n’était nul besoin de susciter ?