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AU SOIR DE LA PENSÉE

exprès, comme la contre-épreuve de nos procédures d’entendement. Bornons-nous à essayer de comprendre des états d’esprit si différents des nôtres.

Le premier fait que nous rencontrons est le culte subsistant, au moins dans les mots, de l’astre lumineux, et de son cortège. L’empereur de Chine était hier encore le Fils du Ciel, comme le Mikado est toujours le descendant direct de la Déesse du Soleil. L’inférence d’une cosmogonie solaire ne peut être sérieusement contestée. Il faut donc bien admettre que le peuple chinois s’est abandonné, dès ses origines, aux interprétations primitives qui, d’abord, ont prévalu de toutes parts.

Des temps les plus lointains, la distinction profonde du caractère mental de l’Extrême-Asie se manifeste surtout par les successions d’émotivités qui suivirent les premiers tressaillements des divinisations. Tandis que nous avons vu, des grands aux petits peuples de notre histoire, l’émotion des matins de la pensée se maintenir dans les profondeurs de l’accoutumance héréditaire, pour dominer les activités individuelles et sociales, l’esprit chinois, toujours en quête du parfait équilibre, et passionnément épris des plus délicates subtilités de la poésie, ne s’est pas laissé éblouir par le ciel des « miracles », ses astres et la rencontre de l’infini. Il a regardé droit en face la fontaine de lumière et l’a divinisée de la meilleure grâce, sans trop s’embarrasser des conséquences. Il est vraisemblable qu’aucun de nos rêves ne lui fut étranger. La différence en est que, profondément enchâssé dans l’écorce des premières formations de la connaissance, le peuple « élu du Ciel » demeura flottant dans les ondulations mentales de l’Asie, profondément épris d’une réglementation d’empirisme où il trouve l’armature rituelle de sa vie.

De se laisser prendre, plus tard, aux inextricables aventures des mythes, la tentation ne paraît pas s’être présentée aux premiers besoins de son analyse. En toute simplicité, un bouddhisme élargi se vit superposer aux premières idolâtries verbalement maintenues. Ce fut comme l’embaumement du panthéon chinois. Même affaire au Japon, ou Dieux et Déesses, quoi qu’ils en eussent, furent aimablement bouddhisés dans un concours populaire d’hommages cultuels. Les rites s’épuisèrent à leur égard en grâces de haute courtoisie. Le Ciel (Shang-Ti) vaut bien une salutation. Mais dès qu’un rationalisme élémentaire