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COSMOGONIES

commença de se faire jour, nul ne s’avisa de laisser l’immense voûte bleue aux contradictions des connaissances positives et des interprétations théologiques métaphysiquement conjuguées. Encore moins pouvait-il être question de persécuter quiconque. Chez nos chrétiens, Lao-Tseu, Confucius, eussent été brûlés en forme. Ils furent et demeurèrent divinisés. Peut-être les deux procédures d’admiration craintive ne sont-elles pas si loin l’une de l’autre qu’on a pu supposer.

Il y a eu nécessairement des cosmogonies chinoises. Les premières grandes formules, celles que nous avons communément rencontrées, bien loin de s’y attacher, la Chine les a perdues. Il n’en est point parlé. La tradition, si forte en ce pays, se trouve, sur ce point, rompue. Et quand la question se présenta des éléments du monde, ce fut — avant la formelle consignation des traditions orales aux idéogrammes classiques — pour se voir traduire, par le moyen de lignes diversement disposées[1], en de symboliques représentations. Cela, nous dit-on, remontant à près de 3000 ans avant Jésus-Christ.

La première conception chinoise de l’univers fut nécessairement théologique. Mais 600 ans avant jésus-Christ, Confucius, Mencius, les véritables chefs de la pensée chinoise, sont des rationalistes — des rationalistes écartant de parti pris les contradictions du point de vue théologique, et, même, refusant d’en tenir compte. C’est encore le cas de Chucius. La philosophie du Tao[2] se borne à mentionner le Grand Extrême (le Ciel de la tradition) dont Chucius n’admet pas l’intervention dans les affaires humaines. Lao-Tseu, qui en est le prophète, serait, chez nous, classé mystique. Nous le voyons dans les voies de Çakya-Mouni, à qui on l’a souvent comparé — plus propre aux consécrations par ses allures de sainteté, par son dédain du monde, son mépris de la voix publique et son silencieux détachement de tout.

  1. Des assemblages de trois lignes, diversement brisées ou continues, représentent les Trois Puissances : le ciel, la terre et l’homme, pour des consignations de doctrine. On les voit souvent figurées sur les porcelaines de nos magasins. C’est ce qu’on appelle Les Kouâ.
  2. Le Tao est la voie, la direction, conception philosophique du mouvement universel plus profonde que toutes les abstractions personnifiées de nos cultes. La même idée de « chemin », impliquant l’évolution, se retrouve dans le Shinto japonais, incluant, comme le Tao chinois, le culte du foyer.