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COSMOLOGIE

entre les visions d’alors et celles d’aujourd’hui par le simple mouvement des interprétations changées ! Aussi, lorsque les Chaldéens imaginèrent de joindre schématiquement des étoiles diverses pour imposer à des figures fictives des noms permettant de reconnaître le cours du soleil, paraissait-il entendu pour tout le monde qu’il n’y avait vraiment dans le ciel ni taureau, ni balance, ni scorpion. Cependant, la foule courut, comme toujours, à l’illusion mythique qui tend à approprier l’univers aux fins de l’espèce humaine. Dépouillées de leur magie, les fictions du Zodiaque nous sont demeurées d’une aide à travers tous obstacles au progrès de la connaissance, — derniers restes d’une astrologie qui voulait que de simples noms de hasard fissent aux astres une vie particulière leur permettant de nous imposer leurs lois, au lieu de nous éclairer. Trop d’autres Dieux, attardés dans leurs personnifications primitives, continuèrent d’exercer sur nous actions et réactions de volontés surhumaines, dont l’effet fut de nous attarder hors des voies naturelles de notre devenir.

Quand Newton contemplait l’immensité céleste où il avait si puissamment tracé l’invincible sillon de lumière, l’idée lui était encore suffisante d’un mécanicien mystérieux pour manœuvrer l’engin, et la pensée ne lui venait pas de soumettre « le moteur immobile » d’Aristote à des procédures d’investigation dont le problème tenait les hommes en suspens. Combien d’autres avaient eu cette audace, qui, par leurs propres manquements ou l’insuffisance des données acquises, n’avaient pu fournir la course maîtresse sur les pistes de l’observation !

Débiles ou puissants, nous sommes les héritiers légitimes des uns et des autres, avec le lot total de leurs défaillances et de leurs achèvements. Le commun d’entre nous possède aujourd’hui, sans efforts, un ensemble de connaissances que lui eussent enviées les plus illustres maîtres de l’antiquité. À peine avons-nous franchi le seuil de la naissance que, dans l’existence qui se présente, nous marquons, dès le premier jour, des temps de nous-mêmes par les relais du passé. L’aventure emporte de nécessité avec elle l’événement d’une croissance d’hier, dépassée par une croissance d’aujourd’hui, de demain. Succession de méconnaissances et de connaissances mêlées, en perpétuelle activité d’accroissements selon des chances auxquelles chacun de nous pourra contribuer plus tard de son propre effort.