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notre planète

peurs de l’antique nébuleuse aux indescriptibles assauts des puissances déchaînées.

L’eau, d’agression sans relâche, refoulée, non lassée, tombe du ciel en fleuves de pluies fumantes, corrode les rochers, écarte de son chemin tout ce qui est obstacle à ses pentes, fait des abîmes, puis les comble et remonte à la voûte dans des tonnerres de vapeurs, pour, aussitôt, recommencer. C’est ce que l’ingénuité biblique appelle « séparer les eaux d’en haut des eaux d’en bas » — ignorant que c’étaient les mêmes eaux dont le jeu perpétuel est de s’échanger.

Délayant, débitant toutes matières soumises à son ardeur, ces eaux n’étaient, ne pouvaient être, par l’amas confus des limons dont elles étaient chargées, rien de semblable à nos courants apaisés d’aujourd’hui. Des fleuves en folie, des torrents monstrueux, des dévergondages d’irruptions, ont nivelé précipices et chaînes rocheuses, pour combler les vallées où des chutes diluviennes reprendront les apports qu’elles avaient déposés. Au cours d’un temps qu’on ne saurait évaluer, coupé de révolutions inconnues, tout le globe, en proie aux extrêmes violences où s’ordonneront des apaisements provisoires, demeurera sous la tempétueuse domination des océans.

Il ne faut point chercher ici des successions de tableaux rapetissant l’incommensurable aux misères de nos minuscules mesures. Ignorants des lois du monde, les anciens essayaient de fixer leurs vagues hypothèses de bouleversements cosmiques au verbalisme d’un « chaos », dénomination de l’inconcevable[1]. Les guerres des Titans contre les puissances ordonnatrices ne sont déjà plus qu’un retentissement du monde entrevu, d’où jaillirent, en formes de légendes, les premiers effrois des derniers échos d’un monde convulsé.

Cependant, nous savons aujourd’hui qu’il ne peut y avoir d’incohérence cosmique nulle part. Le tumulte des éléments n’est qu’une coordination du phénomène qui précède au phénomène qui va suivre. Reconnaissons, toutefois, qu’au cours de ces successions mouvementées dans les « rapports des choses », les

  1. Les frottements des marées soulevées par le soleil et par la lune ralentissent peu à peu la rotation de la terre. Où en viendrons-nous ? je ne sais qui a parlé d’un jour et d’une nuit qui seraient chacun d’une année. Cela ne serait pas sans modifier singulièrement les présentes conditions de notre existence.