Page:Clemenceau - La Mêlée sociale, 1913.djvu/8

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sentât pour tirer de l’accident vulgaire les lois de la gravitation. Combien de sang répandu, de morts affreuses, lentes ou soudaines, de plaintes des mourants, de gémissements désespérés, de cris de haine et de malédiction des vaincus avant que Darwin dénonçât le grand conflit vital.

Encore n’est-ce pas le spectacle de la douleur humaine dans l’effrayant champ de bataille, qui lui a révélé la loi de l’universelle tuerie. Non. Ni le tumulte plaintif de la nature peinante, ni le cri de souffrance de l’humanité douloureuse ne turent primitivement perçus du cerveau subtil aux écoutes. Tant nous vivons dans l’inconscience des choses.

La vague rumeur de la nature passive, l’appel muet des organismes sans voix, voilà ce qu’entendit d’abord le savant plus préoccupé du cryptogame que de l’homme, voilà d’où lui fut révélée l’inexorable loi de la concurrence vitale. Tant la connaissance supérieure se fait péniblement de l’observation d’en bas !

La lutte pour l’existence ! Le combat pour la vie ! Dès que le mot fut jeté, les généralisations abondèrent, et la loi de tout et de tous apparut. Que sont les corps, sinon un équilibre plus ou moins stable de forces ? Même loi pour les êtres vivants : avec cette différence, qu’en proportion de sa sensibilité, chaque organisme, du grand au