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tresse et gubernatrice du monde, c’est plutôt celle d’une pluralité spirituelle ! Ils admettent volontiers jusqu’à « huit cent myriades de dieux ». Ce ne sont pas non plus les superstitions qui leur manquent. Leur vie, au contraire, en est tout incroyablement compliquée et enchevêtrée. Et le nombre des temples donc ! De seuls temples bouddhistes, il y a quelques années, on en comptait au Japon exactement 73,299, appartenant à 76 sectes différentes. Il y a en outre 120,000 temples shintoïstes, sans compter des miniatures de cinq ou six pieds cubes ou de dimensions plus petites encore, que l’on trouve dans certains petits villages, ou même que l’on remarque aux abords de certaines maisons privées. Ceci ne doit pas étonner, puisque le temple shintoïste n’est, pour les esprits, qu’un récipient sacré où les simples humains ne peuvent pénétrer. Les bonzes et les bonzesses continuent toujours, dans leurs temples, à larmoyer des prières, au son des tambours et cymbales, devant leurs idoles horriblement grotesques ; et matin et soir, on entend toujours le son lugubre et sinistre de leur grosse cloche. Mais d’ordinaire, ils sont seuls à faire leurs dévotions ; le peuple n’apparaît au temple qu’à de rares intervalles.

D’ailleurs, les bonzes ne s’en soucient guère : pourvu qu’ils aient de l’argent et leurs femmes, ils n’ambitionnent pas autre chose. Aussi n’ont-ils sur le peuple d’autre prestige que celui de leurs superstitions, tout juste assez pour leur attirer des aumônes. Leur action moralisatrice est nulle ; bien au contraire, elle est démoralisatrice et dissolvante, à cause du scandale de leur vie molle et sensuelle.

Il n’y a donc pas ou peu de religion parmi ces païens.