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ennoblis ; ils prenaient des airs réservés et ne frayaient qu’à demi avec les autres convives. Seul le noble Italien leur paraissait d’assez bonne maison ; mais celui-ci, qui se mourait à la fois du mal qui le minait et de son patriotisme trahi, ne répondait pas aux avances du couple Routier ; il passait au milieu de nous comme un fantôme.

Je n’ai jamais rencontré une pâleur plus effrayante et plus belle. Je le vois encore assis en face de moi avec ses traits de statue grecque, et sa peau mate sous laquelle le sang ne circulait plus. Ses grands yeux noirs éclairaient le visage immobile, et seuls lui prêtaient un reste de vie et de mouvement. Ses cheveux bruns retombaient irrégulièrement jusqu’à son cou amaigri ; on eût dit un voile funèbre ; son corps flottait dans des vêtements aristocratiques mais sans recherche ; il paraissait distrait et insoucieux de tout ce qui l’entourait. Il vivait déjà dans la mort, il la sentait venir à pas précipités, à peine goûtait-il de ses lèvres blêmes à quelques mets aussitôt renvoyés.

Lui et une femme avec laquelle je m’étais liée étaient les seuls êtres un peu caractérisés de cette société nomade. La femme, qui se nommait Nérine B…, séjournait depuis deux mois aux Eaux-Bonnes pour sa santé et aussi pour des travaux d’art ; elle