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gâtaient ]’amour. Dans ses moments de plus vive tendresse, elle m’appelait : « Mon enfant. » Ce mot glaçait mes transports ou m’arrachait des paroles moqueuses qui la fâchaient. Alors elle allongeait sa lèvre supérieure, prenait son air le plus grave et commençait quelque discours de morale. Elle me disait qu’il fallait l’écouter ; que son âge, son expérience des passions et ses méditations dans la solitude lui donnaient une juste autorité sur moi. Je sortais, ajoutait-elle, d’un monde où on se jouait de tout, où on aurait voulu continuer L’ancien régime sans tenir compte de notre glorieuse révolution et de l’ère nouvelle qu’elle avait ouverte. Mes écrits témoignaient assez de la légèreté de mes doctrines. Il était temps de songer à être utile à la cause de l’avenir, comme elle l’essayait elle-même ; elle m’aimerait doublement si je la suivais dans cette voie, où les plus grands esprits contemporains l’encourageaient. Elle me citait alors quelques-uns de ses amis, écrivains nébuleux et médiocres, qu’elle traitait de sublimes philosophes ! Je bâillais légèrement en l’écoutant ; mais, sitôt que je la regardais, la flamme de ses yeux m’allait au cœur ; je la soulevais dans mes bras, je la couvrais de baisers, en lui disant : « Aimons-nous ! cela vaut mieux que tes longs discours ; ou, si tu veux parler, parle-moi de la nature, décris-moi quelque beau paysage ; alors tu es vraiment inspirée, plus belle et au-dessus des autres ; mais ta philosophie m’ennuie ; je la connais ; c’est pour moi une vieillerie que ne peut rajeunir l’emphase de tes amis : les encyclopédistes en