Page:Colet - Lui, 1880.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 136 —

ont rebattu les oreilles de mon père ; eux, du moins, étaient des esprits originaux. »

Quand je lui parlais de la sorte, elle tombait dans un froid silence. Si nous restions seuls, je finissais par rompre la glace à force de gaieté, de caresses et des plus douces câlineries que me suggéraient ma jeunesse et mon amour. Mais si un de ses doctes amis survenait pendant nos discussions métaphysiques, elle le prenait à témoin de l’infériorité de mon âme et du devoir qu’elle s’imposait de me convertir. Alors j’allumais mon cigare et je sortais pour échapper à ce fastidieux colloque. Elle m’aimait pourtant à cause de ma jeunesse et des transports qu’elle m’inspirait ; mais je ne crois pas lui avoir jamais fait ressentir la suprême ivresse que je lui devais. Elle était curieuse des choses des sens, plus qu’ardente et lascive ; ce qui souvent me la faisait trouver impudique dans sa froideur même. L’emportement de ma passion l’effrayait comme une force dont elle n’avait pas le secret, et très-souvent aussi elle me semblait déroutée par mon tempérament de poëte. En ce temps, chère marquise, ce tempérament de mon esprit, que les chagrins et la maladie ont assoupi, était de toutes les heures : il se traduisait diversement, mais il ne m’abandonnait jamais ; il éclatait dans la volupté, dans la causerie, dans le travail ; j’étais toujours le même homme, c’est-à-dire le poëte, l’être sensitif et incandescent, vibrant et s’enflammant sans cesse.

Antonia, au contraire, n’était intelligente et pas-