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et maudissant la vie qui ne revenait pas. Dans cet état d’impuissance, mon tourment redoublait d’intensité. Lorsqu’elle rentrait, riante et fraîche, j’étais brusque, parfois injurieux ou tellement taciturne, qu’elle ne pouvait m’arracher une parole.

Depuis une semaine elle avait cessé de veiller la nuit près de mon lit, et sitôt que j’étais couché, elle allait elle-même se reposer et dormir. Pauvre femme, elle avait passé quinze nuits à mon chevet, comme une sœur de charité héroïque ! Je sentais bien que j’étais ingrat envers sa bonté ; mais pouvais-je être reconnaissant en voyant que son amour m’échappait ? Quand je n’entendais plus de bruit dans sa chambre et que sa lumière s’éteignait, je me figurais qu’elle était sortie ; je me levais alors avec précaution et me glissais jusqu’à son lit : tantôt je la trouvais endormie, tantôt se soulevant à mon approche, elle me disait :

— Qu’as-tu donc ? si tu souffres, il fallait m’appeler.

J’étais honteux de mon espionnage ; mais l’amour a de ces crises désespérées qui ravalent le cœur et lui font perdre toute dignité.

Comme je me plaignais toujours du froid, elle me dit un jour qu’elle allait faire remettre les battants de la porte qui communiquait entre nos deux chambres.

— Non, répliquai-je, un rideau suffira, je ne veux pas m’exposer à me trouver mal la nuit sans que tu l’entendes !