Page:Colet - Lui, 1880.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 69 —

— Vous voyez, j’ai là votre beau livre près de moi, combien il m’a fait plaisir !

— J’ai offert le pareil à ma sœur, reprit-il, et c’est en le lui envoyant ce matin que j’ai pensé à vous.

Tout ce qu’il me dit ce soir-là semblait tendre à effacer l’impression pénible qu’avait pu me laisser son ardeur inquiète. Ses manières furent exquises ; mais je remarquai avec chagrin sa faiblesse et sa pâleur toujours croissantes ; ses yeux mêmes, qui, les jours précédents, éclairaient son visage d’un rayon de vie, paraissaient désormais éteints. Il se courbait vers la flamme du foyer comme s’il eût voulu s’y ranimer.

— On prétend, me dit-il, que c’est un signe de mort prochaine que le retour obstiné de notre esprit aux souvenirs de l’enfance ; je ne sais si le présage s’accomplira pour moi, mais il est certain que depuis quelque temps, ma pensée revient sans cesse sur les tableaux de famille et sur les scènes de collége qui ont autrefois ému mon cœur. Je revois mes camarades de classe ; nos jeux, nos études se raniment pour moi ; je revois surtout ceux qui sont morts ; quelques-uns à la guerre, quelques-uns en duel, plusieurs de consomption. Entre tous m’apparaît comme le plus aimable, le plus intelligent et le plus regretté, ce jeune prince qui fut mon ami et que la destinée a terrassé tout à coup. Que d’heures charmantes nous passâmes ensemble dans les cours mornes et nues du collége ! On nous avait surnommés les inséparables. Durant les heures des classes quand nous ne pouvions pas nous parler,