Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/122

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Je revins dans mon atelier pour continuer à remettre en ordre les dessins confiés à mes soins. C’était là une besogne urgente, et bien nécessaire de plus pour m’aider à détourner mon attention de moi-même et de mon triste avenir. Je suspendais mon travail de temps à autre pour regarder par la croisée et suivre, dans le ciel, le lent abaissement du soleil vers l’horizon. Dans un de ces moments accordés au loisir, je vis une femme suivre le large sentier sablé qui passait sous ma fenêtre. — C’était miss Fairlie.

Je ne l’avais pas aperçue depuis le matin, et, même alors, je lui avais à peine parlé. Un autre jour à passer à Limmeridge était maintenant tout ce qui me restait ; et, après cette unique journée, mes yeux ne la reverraient plus jamais. Cette pensée suffisait bien pour me retenir à la fenêtre. Fidèle aux égards que je lui devais, je disposai la jalousie de manière que, levant les yeux, elle ne pût me voir ; mais je ne sus pas me priver du bonheur de laisser mes regards l’accompagner, pour la dernière fois, aussi longtemps que durerait sa promenade.

Un manteau brun, jeté sur une simple robe de soie noire, voilà toute sa toilette. Elle avait sur la tête le même chapeau de paille qu’elle portait le jour où nous nous étions vus pour la première fois. Un voile seulement y était aujourd’hui fixé, qui me cachait son charmant visage. À côté d’elle piaffait un petit lévrier d’Italie (le compagnon favori de ses excursions dans la campagne), sous l’élégante couverture de drap rouge qui abritait des morsures du vent la peau délicate de ce gracieux animal. Elle ne semblait pas faire attention à lui Elle marchait droit devant elle, la tête un peu inclinée, et les bras roulés sous son manteau. Ces feuilles mortes, qui, le matin même, alors qu’on m’avait parlé du mariage projeté pour elle, passaient tourbillonnant devant moi, chassées par le vent, tourbillonnaient aussi devant elle, et se dispersaient à ses pieds, tandis qu’elle marchait aux mourantes clartés d’un pâle soleil. Le chien frissonnait et tremblait, frottant ses flancs aux vêtements de sa maîtresse, comme pour réclamer avec impatience quel-