Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/138

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ses genoux. Un changement extraordinaire et saisissant se fit dans toute sa personne. Sa figure, ordinairement si touchante à voir, avec son expression de faiblesse, d’hésitation, de susceptibilité nerveuse, s’obscurcit tout à coup, et la haine intense qui vint s’y refléter sembla durcir, accuser chaque linéament en lui prêtant une force sauvage et presque surnaturelle. Ses yeux se dilatèrent comme ceux de l’animal aux abois. Elle saisit, comme elle eût fait d’une créature vivante, le linge que ses mains avaient laissé tomber, et, par un geste horriblement significatif, le tordit entre ses doigts crispés, avec une force telle que le peu d’humidité dont il était imbibé s’égouttait auprès d’elle sur la pierre.

— Parlez-moi d’autre chose, disait-elle entre ses dents serrées… Si vous me parlez encore de ceci, voyez-vous, je suis perdue !…

Jusqu’au dernier vestige des pensées plus douces qui, la minute d’avant, semblaient encore absorber son esprit, s’était subitement effacé. Il fut évident pour moi, désormais, que le souvenir des bontés de mistress Fairlie n’était pas, comme je l’avais cru, la seule impression forte que le passé lui eût léguée. À côté de la reconnaissance qu’elle gardait aux bons soins qu’elle avait reçus pendant son séjour à l’école de Limmeridge, existait un retour vindicatif sur le tort qu’on lui avait fait en la confinant au fond d’une maison d’aliénés. Ce tort, à qui le reprochait-elle ? Fallait-il réellement en accuser sa mère ?…

Certes, il était dur de renoncer à pousser l’interrogatoire jusqu’à ce que ce point final en sortît éclairci. Je me contraignis cependant à en rester là. Dans l’état où je la voyais, il eût été cruel de songer à autre chose qu’à lui rendre le calme d’où je l’avais tirée.

— Je ne parlerai de rien qui vous soit pénible, lui répondis-je du ton le plus conciliant.

— Vous voulez quelque chose !… répliqua-t-elle avec un vif accent de soupçon… Ne me regardez pas comme vous faites !… Parlez-moi !… Dites ce que vous voulez !…