Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/141

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fantaisies… et j’ai eu tort de la laisser seule en un lieu comme celui-ci… Allons, ma petite, rentrons maintenant chez nous !…

Il me sembla que la perspective du chemin à faire effaroucherait quelque peu la brave femme, et je lui proposai de les reconduire toutes deux jusqu’à ce qu’elles fussent en vue de leur domicile actuel. Mistress Clements me remercia poliment, mais avec un refus. Elle m’assura qu’elle était sûre, une fois arrivée aux marais, de rencontrer quelqu’un des laboureurs de la ferme.

— Ne m’en veuillez pas ! dis-je au moment où Anne Catherick, sur le point de s’éloigner, prenait le bras de son amie. Tout innocent que j’étais d’avoir voulu l’effrayer ou lui faire mal, l’aspect de son pauvre visage, pâle et bouleversé, me fendait le cœur.

— Je tâcherai, répondit-elle ; mais vous en savez trop long… Je crains bien de ne plus pouvoir vous rencontrer sans quelque effroi.

Mistress Clements me jeta un regard d’intelligence, et secoua la tête en signe de pitié.

— Bonsoir, monsieur, me dit-elle… Vous n’y pouvez rien, je le sais… mais il vaudrait mieux que vous m’eussiez effrayée, moi, et non pas elle…

Elles s’éloignèrent de quelques pas. Je les croyais parties ; mais Anne s’arrêta tout à coup, et quitta le bras de son amie.

— Attendez un peu, lui dit-elle. Il faut que je fasse mes adieux.

Elle revint à ces mots vers la tombe, posa tendrement ses deux mains sur la croix de marbre et y laissa un long baiser.

— Je vais mieux maintenant, soupira-t-elle, en me regardant avec une expression plus recueillie… Je puis et veux vous pardonner…

Elle rejoignit sa compagne, et toutes deux quittèrent le champ du repos. Je les vis s’arrêter près de l’église, et parler à la femme du sacristain qui, sortie de son cottage, nous guettait de loin. Puis elles reprirent le sentier qui conduisait aux marais. Je suivis du regard Anne