Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/279

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cherchant, par ses caresses et en couvrant mes mains de baisers, à se faire pardonner cette question toute directe : — Est-il bien ? est-il heureux ? et réussit-il dans sa carrière ?… S’est-il remis ? M’a-t-il oubliée ?…

Elle n’aurait pas dû me questionner ainsi. Elle aurait dû se rappeler ses propres résolutions, prises le matin où sir Percival avait réclamé d’elle l’exécution de sa promesse, et où elle avait déposé en mes mains, pour jamais, l’album de Hartright. Mais, hélas ! où est ici-bas la créature infaillible qui peut constamment persévérer dans une bonne résolution sans jamais y manquer, sans jamais défaillir ? Où est la femme qui a jamais arraché complètement de son cœur la chère image qu’un amour sincère y avait fixée ? Les livres nous racontent qu’il a existé de ces êtres surhumains ; mais en réponse aux livres, que nous dit notre propre expérience ?

Je n’essayai vis-à-vis d’elle aucune remontrance, peut-être parce que je rendais justice à cette candeur courageuse qui me révélait ce que tant d’autres femmes, placées comme elle, auraient cru devoir cacher, même à leurs plus chères amies ; peut-être aussi parce que je sentais, interrogeant mon cœur et ma conscience, qu’à sa place, j’aurais eu les mêmes pensées, posé les mêmes questions. Tout ce que je me sentis appelée à faire, sans manquer à mon devoir, fut de répondre que je ne lui avais pas écrit et que je n’avais pas entendu parler de lui tout récemment ; puis, je détournai la conversation vers de moins périlleux sujets.

Il y a eu de quoi m’attrister beaucoup dans cet entretien, — le premier entretien confidentiel que j’aie eu avec elle depuis son retour. Ainsi, le changement que son mariage a opéré dans nos relations mutuelles, en nous créant, pour la première fois de notre vie, un point de contact qui n’a rien de légitime, ainsi la triste conviction, produite en moi par ses involontaires aveux, qu’il n’existe entre elle et son mari aucun lien d’étroite sympathie, aucune chaleur de sentiments ; ainsi, encore, l’affligeante découverte que ce fatal attachement demeure (innocemment, je le veux, mais qu’importe ?) aussi bien enraciné