Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/338

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existence depuis que je suis mariée. Ce secret est le premier que jamais j’ai gardé vis-à-vis de vous, chère aimée, et je me suis promis qu’il serait le dernier. C’est pour vous que je me taisais, comme vous le savez, — et peut-être aussi, en même temps, un peu pour moi. Il est fort pénible, pour une femme, d’en être réduite à confesser que l’homme à qui elle a donné toute sa vie est celui de tous qui se soucie le moins de cet irrévocable don. Si vous-même vous étiez mariée, chère sœur, — et plus particulièrement si vous étiez heureuse en ménage, — vous auriez pour moi les sentiments de pitié que ne peut éprouver si sincèrement bonne qu’elle soit d’ailleurs une femme dans votre condition…

Quelle réponse pouvais-je trouver à ceci ? Je dus me borner à prendre sa main et à la contempler, autant que mes yeux humectés me le permirent, d’un regard où j’avais mis toute mon âme.

— Que de fois, continua-t-elle, que de fois je vous ai entendue plaisanter de ce que vous appeliez votre « pauvreté » ? Que de fois vous m’avez adressé d’ironiques félicitations sur mes « richesses » ! Oh ! Marian, ne plaisantez plus jamais sur tout cela !… Remerciez Dieu d’être pauvre ; c’est ce qui vous a rendue maîtresse de vos destinées ; c’est ce qui vous a préservée du lot fatal qui m’est échu…

Triste préface sur les lèvres d’une jeune femme, — triste, surtout, à cause de l’exacte vérité qu’elle exposait avec ce calme naïf. Le peu de jours que nous venions de passer ensemble à Blackwater-Park avaient bien suffi pour me laisser voir, — pour laisser voir à tous — dans quelles vues son mari l’avait épousée.

— Je ne vous affligerai pas, continua-t-elle, en vous disant combien tôt commencèrent mes désappointements et mes épreuves, — ou même en vous racontant en détail ce qu’ils furent. Il est bien assez triste de les avoir à jamais dans mon souvenir. Je n’ai qu’à vous faire savoir comment fut reçu le premier et dernier essai de remontrance que je me sois jamais permis, pour vous donner une idée complète des procédés qu’ « il » a toujours eus