Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/355

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Je pris le bras qu’il m’offrait ainsi. Parmi les idées que son apparition avait mises en fuite, la première qui me revint fut celle qui m’avertissait de ne jamais, à aucun prix, encourir la haine de cet homme.

— Vous semblez surprise de me voir ? répéta-t-il, avec la calme obstination qui lui était propre.

— Je croyais, comte, vous avoir entendu, dans la salle à manger, jouant avec vos oiseaux, lui répondis-je aussi tranquillement, aussi posément que je pus le faire.

— C’est vrai. Mais, voyez-vous, chère lady, mes petits enfants emplumés ne ressemblent que trop à leurs collègues d’une autre race. Ils ont leurs jours de perversité, et ce matin en commençait un. Ma femme est entrée au moment où je les remettais dans leur cage et m’a conté qu’elle venait de vous quitter, partant seule pour la promenade. Vous le lui aviez dit, n’est-il pas vrai ?

— Certainement.

— Eh bien ! miss Halcombe, le plaisir de vous accompagner s’est trouvé pour moi une tentation irrésistible… À mon âge, n’est-ce pas, les aveux de cette espèce doivent être permis ?… J’ai donc pris mon chapeau et suis venu m’offrir à vous pour escorte. On a beau être vieux et pesant comme Fosco, cette escorte-là vaut encore mieux que rien, n’est-il pas vrai ? Je me suis trompé de route ; — je m’en revenais, au désespoir ; — et me voici (puis-je m’exprimer de la sorte ?) parvenu au comble de mes vœux…

Il continua sur le même ton, surabondamment fleuri, de manière à ne m’imposer aucun autre effort que celui de ne pas lui rire au nez. Du reste, pas la moindre allusion, même la plus éloignée, à ce qu’il venait de voir sur le petit chemin, ou à la lettre que je tenais encore. Cette discrétion, de mauvais augure, servit à me convaincre qu’il devait avoir surpris, par les moyens les moins avouables, le secret de la démarche que j’avais tentée, dans l’intérêt de Laura, auprès du « solicitor » de la famille, et qu’après s’être assuré de la voie par laquelle j’avais secrètement reçu la réponse de ce dernier, sachant