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PHYSIONOMIES DE SAINTS

l’aimait plus que son âme, plus que sa vie, et qu’elle serait trop heureuse de mourir pour lui.

Le Romain l’écoutait sans comprendre. Il la crut affolée de quelque autre grand seigneur. La jalousie s’empara de lui, une jalousie si sombre, si violente qu’il en tomba malade.

Le préfet, touché de la douleur de son fils, se rendit auprès d’Agnès et la pressa de revenir sur sa décision.

« Je suis le préfet de Rome, dit-il, devant moi on porte les faisceaux. Si illustre que soit l’origine de ton fiancé, il doit céder à mon fils ».

Le père essuya les mêmes refus que son fils et fut témoin des mêmes extases. Fort étonné, il voulut savoir le nom de celui qui inspirait un amour si extraordinaire.

« Seigneur, dit au gouverneur l’un de ceux qui l’accompagnaient, soyez-en sûr, cette jeune fille est chrétienne. C’est le Crucifié qui l’a ensorcelée ».

Le préfet s’éloigna content d’avoir un moyen de se venger, et dès le lendemain, fit comparaître Agnès devant lui.

« — Jeune fille, lui dit-il, les chrétiens, par leurs maléfices, ont troublé ta raison encore faible… ils ont égaré ton cœur. Je veux t’arracher à cette misérable superstition indigne de ta naissance. Je vais te faire conduire auprès de la bonne déesse. Si tu persistes dans ton désir de garder ta virginité, tu lui offriras des sacrifices et tu veilleras à la garde du feu sacré avec les vestales, gloire de la ville de Rome.

— Préfet, répondit noblement la jeune Romaine, si j’ai refusé votre fils, homme vivant, capable de penser, de sentir, de marcher, de parler, de jouir comme moi de la lumière du soleil ; si, pour l’amour du Christ, je n’ai pas voulu lui accorder un regard, ce n’est point pour aller courber ma tête devant des idoles sans âme, sans vie, devant de froides et impuissantes pierres.

Le juge ne pouvait comprendre qu’on préférât les promesses de la foi aux plus séduisantes réalités, mais il sentait que pour Agnès la vie n’était rien. Aussi ne