Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/186

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l’inégalité que celle des fortunes met en-tre les hommes qui veulent s’y livrer, mais elle établirait un autre genre d’égalité plus générale, celle du bien-être. Il importe peu au bonheur commun que quelques hommes doivent à leur fortune des jouissances recherchées, si tous peuvent satisfaire leurs besoins avec facilité, et réunir dans leur habitation, dans leur habillement, dans leur nourriture, dans toutes les habitudes de leur vie, la salubrité, la propre-té, et même la commodité ou l’agrément. Or, le seul moyen d’atteindre à ce but est de porter une sorte de perfection dans les productions des arts, même les plus communs. Alors un plus grand degré de beauté, d’élégance ou de délicatesse dans celles qui ne sont destinées qu’au petit nombre des riches, loin d’être un mal pour ceux qui n’en jouissent pas, contribue même à leur avantage en favorisant les progrès de l’industrie animée par l’émulation. Mais ce bien n’existerait pas, si la primauté dans les arts était uniquement le partage de quelques hommes qui ont pu recevoir une instruction plus suivie, et non une supériorité que, dans une instruction à peu près égale, le talent naturel a pu don-ner. L’ouvrier ignorant ne produit que des ouvrages défectueux en eux-mêmes : mais celui qui n’est inférieur que par le talent peut soute-nir la concurrence dans tout ce qui n’exige point les dernières ressour-ces de l’art. Le premier est mauvais ; le second est seulement moins bon qu’un autre.